EcoMaris, le voilier-école du Saint-Laurent : “Les jeunes sont confrontés au fleuve !”

Le Saint-Laurent entre Montréal et l’Océan Atlantique, c’est déjà la mer ! Et pas de meilleure école de vie que la navigation pour Simon Paquin, fondateur et directeur d’EcoMaris, le premier voilier-école dans le golfe du Saint-Laurent. Fondé en 2006, EcoMaris propose des expéditions en mer pour les jeunes, pour conjuguer conscience environnementale et citoyenne et favoriser la réinsertion socioprofessionnelle. Entretien avec un navigateur et formateur hors-pair, qui dévoile les secrets de la pédagogie EcoMaris à l’occasion de Living with Rivers.

© EcoMaris

Que découvre-t-on à bord d’EcoMaris ?

L’apprentissage de la voile à EcoMaris est un prétexte pour découvrir le fleuve et développer un lien avec lui. C’est nécessaire de passer par le lien : on protège bien ce qu’on connaît et ce qu’on aime. Et puis les fleuves ne sont pas si accessibles. Le Saint-Laurent est une très grande étendue, qui abrite des populations éparpillées un peu partout, vivant le fleuve de façon isolée. EcoMaris est un facilitateur d’accès à des endroits vraiment reculés, à des milliers de kilomètres des grandes villes.

Les différents programmes d’EcoMaris depuis 2011, qu’ils soient artistiques, scientifiques, culinaires ou éducatifs, permettent de prendre conscience des nombreux enjeux du Saint-Laurent. Mais tous les programmes sont centrés sur la navigation, que l’on aborde par le versant de l’émotion. On veut faire découvrir la beauté du Saint-Laurent, le plaisir qu’on peut avoir à le parcourir. L’idée est d’arrêter de disséquer la connaissance en silos et de faire comprendre que l’écosystème du fleuve est un tout, global et très riche… Aussi, on aborde de multiples réalités du fleuve : la préservation des aires marines protégées, la régénérescence des espèces, les bélugas, le plancton, la navigation commerciale, la glaciation du fleuve… On part de l’intérêt des gens pour développer un amour plus large du milieu.

Comment les participants appréhendent-ils le fleuve avant d’embarquer ?

Les gens ne le connaissent pas du tout ! Souvent, ils ne savent même pas que le fleuve passe par Montréal. Le besoin de connaissance est criant. Le fleuve est comme un voisin à qui on n’a jamais parlé. Donc on est certain d’avoir un résultat, car de nombreux participants partent de zéro ! (rires)

Et où les emmenez-vous naviguer ?

Ici, on navigue en mer : de Montréal jusqu’à Terre-Neuve, en passant par la Côte Nord, la Gaspésie, les îles de la Madeleine… On va parfois jusqu’en Nouvelle-Écosse, pour couvrir tout le golfe du Saint-Laurent.

© EcoMaris

Avec le programme Cabestan, EcoMaris propose à des jeunes en difficulté de partir naviguer deux semaines sur le fleuve, en équipe, pour retrouver du sens. Comment le fleuve devient-il un vecteur de réinsertion socioprofessionnelle ?

Dans le programme Cabestan, le fleuve sert de moyen d’apprentissage. Le fleuve, avec ses marées et courants, des hauts-fonds, du trafic maritime, est un milieu d’apprentissage beaucoup plus ardu qu’un stage en entreprise. Le premier voyage Cabestan a même eu lieu sous la neige !

Et puis les jeunes doivent dépasser leurs limites, apprendre à respirer, à manger différemment – parce que tout bouge sur un bateau. C’est un apprentissage qui est autant physique qu’émotionnel, où l’on apprend en même temps le travail en équipe, la navigation, les enjeux environnementaux, l’astronomie… Je dis toujours que le fleuve est une encyclopédie vivante, dans laquelle on puise ses besoins, pendant deux semaines, un an, ou toute une vie… Le Saint-Laurent est une école de vie, qui permet aux jeunes participants de découvrir des passions, de nouveaux intérêts, d’accroître leur motivation, de développer des liens sociaux…

Le fleuve est donc une source d’énergie ?

Oui, le fleuve, c’est la vie. Et les gens ont vraiment besoin de se sentir en vie ! Ç’a l’air bête, dit comme ça, mais… tellement de gens ne vivent plus vraiment, vivotent devant un écran, que lorsqu’on leur donne l’opportunité de rencontrer de vrais humains en vie, avec des couleurs différentes, des façons de penser différentes, des expériences différentes… On les plonge dans quelque chose qui en apparence est plus difficile, mais aller sur le fleuve, c’est plus vivifiant et plus énergisant que de mourir à petit feu devant un écran. Le but c’est aussi d’élever les consciences en se confrontant à quelque chose en dehors de la zone de confort. Et ça, ça crée un mouvement vers l’avant !

Les participants apprennent aussi le goût de l’effort. En tant que “pirate sadique” (rires), j’aime bien voir les jeunes forcer un peu : faire un effort supplémentaire, essayer quelque chose de nouveau, qu’ils ne feraient pas chez eux. Par exemple : nettoyer les toilettes, vider les poubelles, maintenir en état les cuisines du bateau ! (rires). Il faut aller à l’ouvrage, recommencer, trois, quatre reprises… Naviguer ne laisse pas la possibilité de faire les choses à moitié. Et les gens en sont fiers, à la fin de l’expédition.

Il y a aussi l’expérience de la barre, qui est une expérience impressionnante et symbolique pour ceux qui n’ont jamais navigué. Un jeune une fois m’a confié que son père ne lui faisait même pas assez confiance pour le laisser tondre la pelouse : il était choqué que je lui confie un bateau de plusieurs milliers de dollars ! L’objectif est de leur laisser l’espace de se construire en confiance.

Passer deux semaines à naviguer sur un bateau, c’est aussi apprendre à coopérer.

Les jeunes participants apprennent à communiquer sur ce qu’ils veulent et ce qu’ils aiment pour arriver à un consensus. Des compétences qu’ils peuvent ensuite transposer ailleurs ! La collaboration n’est pas toujours acquise, et c’est un atout majeur pour la suite de leur parcours.

© EcoMaris

Ces voyages ont-ils éveillé des rêves de carrières autour du Saint-Laurent ?

Au début, on pensait que si 10% des promotions le faisaient, c’était déjà beau. Et finalement, ce sont environ 25% des participants qui rejoignent l’industrie maritime, en passant des brevets de capitaine ou de matelot, ou qui travaillent pour la garde côtière canadienne. Certains vont travailler pour la logistique des bateaux au port de Montréal, ou rejoignent le fleuve de façon indirecte, en étudiant la biologie marine ou en devenant cuisinier sur un bateau.

La cuisine autour du Saint-Laurent

EcoMaris stimule aussi les papilles ! Les expéditions sont aussi l’occasion de partir à la pêche aux oursins et de commencer à découvrir les ressources culinaires du Saint-Laurent. EcoMaris travaille aussi à la création d’un restaurant sur les quais du Port de Montréal, qui proposera un menu en fonction du fleuve, de ses algues, du plancton et de ses poissons mal-aimés.

Votre mission  s’adresse-t-elle aussi aux communautés autochtones ?

Nous avons développé un projet intitulé  “Les Gardiens du Territoire” avec des communautés autochtones riveraines du Saint-Laurent. Historiquement, le fleuve n’est pas très utilisé par celles-ci. En amont vers Ottawa, le fleuve était un espace de transition ; en aval, c’était même une menace. Il y avait une activité de pêche à marée basse, mais ces peuples ne partaient pas beaucoup en mer, même s’il y avait du commerce, de fourrure notamment, entre la côte Nord et la côte Sud, entre les villes de Tadoussac et Cacouna. Les autochtones ne s’associent pas naturellement au fleuve.

Ceci dit, nous avons tissé des liens avec des communautés plus à l’Est, comme les Innus et les Mi’gmaq. L’idée n’est pas de donner un droit sur le fleuve, mais de servir de lien pour unir des communautés entre elles. Le programme est élaboré pour s’adapter aux particularités de ces communautés. Par exemple, un des projets sépare les hommes et les femmes, alors qu’avec la communauté de Wendake, c’est mélangé. Il y a autant de possibilités que de communautés pour découvrir le fleuve.

Au départ, on se sentait un peu “colonisateur” : on y allait de façon très lente, pour ne pas imposer une façon de faire. Mais on s’est rendu compte que les communautés étaient en demande sur les sujets de communication de groupe et de leadership. On a réussi à mettre en place un dialogue entre deux cultures, en apprenant de notre côté une nouvelle façon d’évoluer dans la nature, de faire le “lien” avec le fleuve.

Dans certaines communautés, ce lien a disparu : les jeunes ne vont plus à la chasse à l’oie, ne connaissent plus les plantes… Reconstruire un lien avec le territoire marin, même si ce n’est pas historiquement un territoire autochtone de prédilection, rentre dans ce contexte-là.

Et vous, Simon Paquin, quel est votre lien avec le Saint-Laurent ?

Je me suis senti lié au fleuve lorsque je me suis rendu compte qu’il était là, juste à côté, et que je ne m’en étais pas servi ! J’ai beaucoup navigué en Martinique, où j’ai habité pendant deux ans, et je me suis rendu compte que j’aimais la navigation, mais je ne connaissais pas le Québec et le Saint-Laurent. Quand je suis revenu, j’ai fait ma formation d’instructeur de voile sur le fleuve, et c’est là que la magie a opéré  – j’avais 20 ans. Je n’ai pas compris pourquoi si peu de monde naviguait, pourquoi il n’y avait pas de voilier-école, pourquoi certains endroits n’étaient pas accessibles… J’ai aussi été fasciné par la beauté sauvage du fleuve, et j’avais la volonté que plus de monde puisse y avoir accès. Tout en développant un équilibre : le fleuve n’est pas un produit d’appel touristique, que l’on développe sauvagement ! Je ne tiens pas à ce que le fleuve Saint-Laurent soit peuplé de dizaines de bateaux de croisière. Ce qui est beau, c’est son aspect sauvage : les colonies de macareux, les bétraquels, les phoques… Quand tu es au large, que tu navigues et qu’il n’y a personne, c’est génial !

Et si le Saint-Laurent était un personnage ?

Et bien … C’est un fleuve indomptable, sauvage, un peu capricieux… Le Saint-Laurent est accueillant, mais pas très sociable pour autant. Il est calme, et enragé quand il le faut. Il n’est pas ami avec tout le monde !

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